SECRET PROFESSIONNEL ET LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE

Septembre 2013, lors d’une réunion des C.A.R.P.A. à Marseille, notre confrère Michel Bénichou annonce que le secret professionnel de l’avocat en matière fiscale va être supprimé. Formule lapidaire direz vous. Que nenni, le 6 décembre 2013, le législateur vote une série de mesures dans ce sens ramenant la confidentialité à une peau de chagrin.

Début 2014, l’ANAH planche sur ce sujet. Quelques mois plus tard les écoutes téléphoniques et autres perquisitions chez les Avocats font grand bruit dans la profession.

De quoi s’agit-il ?

– de la répression et des « techniques spéciales d’investigation » en matière de lutte contre la fraude fiscale mises au même rang que la lutte contre le terrorisme.

– de la protection du « lanceur d’alerte » : avec immunité légale, incitant à la dénonciation de fraudeurs présumés sous couvert de bonne foi ;

– de la modification de l’article 1741 du CGI pour insérer la notion de « bande organisée » incluant les conseils et intermédiaires ;

– de la confusion entre fraude, évasion et optimisation fiscale ;

– de l’obligation pour les fiscalistes de déclarer à l’Administration fiscale les montages qu’ils élaborent pour leurs clients (article 96 de la loi de finances pour 2014).Le texte est censuré par le Conseil Constitutionnel. Le législateur n’entend pas abandonner. La discussion porte sur l’obligation de déclaration, véritable violation du secret professionnel de l’Avocat. Pèse-t-elle sur celui qui les commercialise (ne concerne pas les Avocats) ou celui qui les met en oeuvre ?

– de la modification de l’article 64 du livre de procédure fiscale sur l’abus de droit : interprétation extensive de la notion en substituant « un acte inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder l’impôt » par « acte à but essentiellement fiscal ».La discussion reste ouverte.

Notre société avide de transparence, finit par tomber dans tous les excès au point de perdre pied. Comment concilier la demande croissante de transparence, la protection de la vie privée, et l’indispensable raison d’Etat au Secret d’Etat.

SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT OU SECRET DE POLICHINELLE ?

Selon notre confrère Michel Bénichou, sur le plan européen, compte tenu de l’état des finances des pays, une intensification de la lutte contre les fraudes fiscales entraine l’utilisation de moyen assez proche des investigations liées au terrorisme.

Lorsqu’il s’agit de procédures judiciaires, compte tenu de l’intérêt général et de la bonne administration de la justice, la protection du secret professionnel est respectée. En revanche en droit fiscal, lorsque les intérêts sont privés, le secret professionnel est considéré comme relatif.

Pour notre confrère François Tripet, transparence et secret sont en lutte perpétuelle pour séduire le citoyen et protéger ses libertés individuelles.

Pourtant, si la transparence ouvre le droit à la concertation et à la participation démocratique, elle peut tourner à la pire des dictatures en abolissant toute intimité. Le secret protège l’intimité, mais il peut être le serviteur du mensonge et de la dissimulation qui détruisent la confiance entre les individus. Nous vivons une époque où toutes les croyances sont mises à bas. Les jeunes générations, incarnant ce désenchantement, l’ont si bien compris qu’elles se sont emparées avec gourmandise insouciante des réseaux sociaux et ont fait de la transparence de leur vie intime le pivot d’une nouvelle culture.

Désormais la transparence est parée de toutes les vertus et fonde une nouvelle morale. Celui qui n’a rien à se reprocher, n’a rien à cacher.

Le curseur qui fait passer de l’ombre à la lumière et le secret vers la transparence, c’est la dénonciation, car la vérité ne peut attendre. Le héros moderne est désormais le « lanceur d’alerte ».Il y a peu de temps c’était encore un traitre, un « collabo », un « fouille merde ».

La race des Avocats est-elle en voie de disparition pour laisser la place au « juriste » au service de la règle, alors que l’Avocat est au service du client ?

QUE DIRE EN TANT QU’AVOCAT FISCALISTE.

Auxiliaire de justice, l’Avocat est favorable à la lutte contre la fraude fiscale, conscient de toutes les dérives et conséquences collatérales.

Néanmoins la fiscalité des états, dans l’application, n’est pas à l’abri de soupçon : lourdeur et complexité, fondement contestable, justice fiscale à géométrie variable selon la classe au pouvoir, hypocrisie des messages sur les paradis fiscaux et l’harmonisation européenne. On comprend que les enjeux sont ailleurs (guerre économique, secret d’état). Des Universitaires ont même soutenu que la fraude est une soupape de sécurité pour permettre au système de fonctionner.

Dans ce contexte, les Avocats fiscalistes peuvent se trouver malmenés si leur cabinet est ouvert à tous vents aux autorités avides de transparence pour régler un laxisme passé.

Le vrai risque serait une utilisation vengeresse empêchant les avocats d’exercer leur métier d’une façon sereine dans l’intérêt général.

Doit-on tomber dans les excès des autorités américaines qui, après avoir condamné pénalement en 2010 Bradeley Birkenfeld ex-banquier de UBS, lui ont versé 104 millions de dollars pour avoir fourni à l’Internal Revenu Service (Fisc Américain) les noms de 4500clients, remerciement son civisme et lui rendant les honneurs.

Il aura trahi ses clients et le secret bancaire de son pays d’origine la Suisse. Reconnu gravement coupable de complicité de fraude fiscale aux U.S.A. (3 ans de prison), il est promu Héros repentant.

La lecture des travaux parlementaires permet de constater une certaine stigmatisation de la profession d’Avocat qui n’a pas de raison d’être. Ils donnent une mauvaise lecture de la profession d’Avocat Fiscaliste qui éclaire le contribuable de ses droits, participe à la jurisprudence fiscale, négocie et reste un intermédiaire généralement apprécié de l’Administration, sait utiliser les rescrits à bon escient, évite de proposer des schémas répréhensibles.

La confusion populiste entre fraude, évasion, optimisation fiscale est détestable dans un contexte fiscal aléatoire. Entre le vol des pauvres par la fraude (Dupont-Aignan) et la spoliation des riches (Pascal Salin), notre rôle donne le vertige. La notion de  » bande organisée » s’étend aux Conseils. Faute de preuves contre les vrais délinquants, il est à craindre que l’Avocat soit en première ligne si les enquêtes tournent autour de présomptions.

On peut redouter l’application sans discernement de procédures spéciales réservées au grand banditisme avec des moyens hors norme (utilisation du numérique) malgré le filtre du Bâtonnier et du Juge des libertés.

Les politiciens et les journalistes d’investigation raisonnent souvent savamment, tel le critique d’art pictural qui n’a jamais tenu un pinceau.

On peut regretter en effet que les rapporteurs de la loi soient restés obnubilés par les affaires du moment (Cahuzac, HSBC, Crédit suisse, UBS) sans se rendre compte que la législation fiscale et les conventions internationales permettaient déjà de lutter contre la vraie fraude.

La confusion fraude, évasion, optimisation, jette un trouble chez les professionnels. Les affaires Google, Starbucks, Amazon livrées en pâture par la presse ne sont pas à mélanger avec les fraudes en « carroussel ». Dans la pratique, elles se traduisent par une taxation sur un bénéfice fictif (profit économique supposé sur notre territoire) et des amendes négociées avec les Services Fiscaux dans le cadre de transactions expressément prévues par le Code Général des Impôts. Se pose alors la question : ce genre d’affaires doit-elle être traitée de la même façon que le terrorisme ?

Ceci étant, on comprend la détermination des rapporteurs de la loi pour lutter contre les abus.

Néanmoins, la mise en avant du comportement des grands cabinets d’Avocats par Nicolas Dupont-Aignan et sa charge contre les fiscalistes en général sont inappropriées.

Sa formule, faisant référence à Clémenceau, « Je n’ai qu’un programme, la guerre, la guerre, la guerre sans répit » n’est peut être pas la plus heureuse lorsqu’on sait le désastre qui en a résulté pour la France. Créer une panique chez les investisseurs, les entrepreneurs, les créateurs, et les épargnants peut amener le pire.Yann Galut, que nous aurions aimé entendre sur le secret professionnel de l’Avocat dans le cadre des dispositions qu’il a portées, tient à peu près le même discours. Spécialiste du droit social, regrettons qu’il se soit plus intéressé aux auditions des journalistes qu’à celles des Avocats fiscalistes.

QUE PEUT-ON ESPERER ?

«L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps».

La Cour Européenne des droits de l’Homme, sur le fondement des articles 6 et 8 de la convention, a été confrontée au dilemme entre confiance et efficacité de la justice dans des affaires fiscales. Dans un arrêt du 24 juillet.07.2008 la Cour a précisé : « si les perquisitions et les saisies opérées constituent un but légitime, elles portent toujours incontestablement atteinte au secret professionnel».

L’arrêt du 6 décembre 2012 ( Patrick Michaud) consacre ce secret professionnel de l’Avocat et en donne ses limites. La C.E.D.H. rappelle que son importance « doit être mise en balance avec celle que revêt pour les états membres, la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d’activités illicites, susceptibles de servir des activités criminelles ».

Pour des raisons d’utilité publique, les journalistes bénéficient du secret de leur sources. Pour les mêmes raisons, l’Avocat ne devrait-il pas avoir la même protection ?

«Ce qui est nuisible à la société n’est pas qu’un avocat puisse échanger avec son client en toute confidentialité,

Ce qui est dangereux pour la démocratie c’est qu’il ne puisse plus le faire. » (Christiane Féral-Schulh).

La loi du 6 décembre.12.2013 ne vise pas expressément le secret professionnel de l’avocat. Cependant, sachant que « l’air du temps est à la transparence, non au secret », il y aura lieu d’être très vigilant vis-à-vis de la brèche ainsi ouverte.